LE SOIR.be
L'Italie met Sambreville en musique La technique s'efface, le plaisir de jouer s'installe Le directeur Mario Tiberini garde ses sens en éveil
Mis en ligne le 25/08/2000 à 00:00
par Hugues Danze
L'Italie met Sambreville en musique
Le jumelage entre Sambreville et le village de Gessopalena transcende les différences. Sans dissonance.
UN REPORTAGE DE HUGUES DANZE
L'Italie. Fascinante. Envoûtante. La richesse de sa culture étonne le voyageur. La chaleur de ses habitants séduit. Un art de vivre à nul autre pareil. Avec cet accent savoureux. Une langue qui chante avec autant d'élégance rassemble. Forcément. Sambreville, terre d'accueil d'une importante communauté italienne, est depuis longtemps tombée sous le charme. Dans cette mesure, le jumelage avec le petit village montagnard (1.750 habitants) de Gessopalena dans les Abruzzes apparaît comme une évidence. Un jumelage particulier. Parce que la musique lui sert de fil conducteur. Ce qui a sans doute suffit à convaincre l'Union européenne de financer le projet.
Cette histoire d'amour naissante est due au hasard. En 1995, un élève du cours de chant de l'Académie de Tamines atterrit dans un petit village installé à flanc de montagne: Gessopalena. Typique, authentique. Paisible. Arpentant les rues, il découvre une école de musique et son orchestre «Armando Manzi» (voir par ailleurs). Ses pensées s'envolent. Il rêve d'un jumelage. De retour au pays, il en parle à Giovanni Votano, directeur de l'académie taminoise. L'histoire est en train de s'écrire. A grandes envolées.
J'ai pris contact avec mon homologue italien, raconte Giovanni Votano, qui s'est toute suite passionné pour un échange culturel entre nos deux écoles. Une raison essentielle à cet échange: l'Ensemble instrumental Votano est l'équivalent belge de l'orchestre italien. Ou presque. Et même si les répertoires et les niveaux sont différents, le courant passe. Les échanges sont riches. Ils transcendent les différences.
En 1997, une quarantaine d'Italiens débarquent dans la Basse-Sambre. C'est une sorte de révélation. Pourtant, les montagnards italiens sont logés à la Marlagne. Loin de tout. Le soir, pour tuer le temps, ils jouent dans les rues de Namur où leur passage est remarqué. A Sambreville, on s'étonne de ces joyeux musiciens qui chantent à tue-tête et aiment faire la fête. Une tradition importée de leur village où les nuits sont particulièrement animées. En musique, bien sûr. Parce que la vie ne peut qu'être légère. Aérienne comme les notes qui s'envolent des instruments. Ces gens jouent avec leur cœur, explique Mireille Piette, membre du comité de direction de l'Ensemble Votano. C'est incroyable.
L'année suivante, les Sambrevillois se rendent à Gessopalena. Une belle surprise. Tout le village nous attendait. Nous avons défilé dans les rues, le maire en tête. On se serait cru dans un épisode de Don Camillo et Peppone, se souvient Giovanni Votano. Les liens se resserrent.
La suite ne doit plus rien au hasard. Ce vendredi le jumelage sera officiellement porté sur les fonts baptismaux (à 11 h à l'hôtel de ville). L'aventure se poursuit. Passionnante. Humaine.
La technique s'efface, le plaisir de jouer s'installe
Elle a la fraîcheur de ses 19 ans. Cheveux blonds sur peau blanche. On la sent un peu timide. Charmante. Son sourire, large, efface heureusement le côté trop strict de son costume de musicienne de l'Ensemble Votano. Un costume qui lui donne l'air d'une jeune fille sage. Pourtant quand on lui parle de Gessopalena, Eléonore-Rose Marlier a les yeux qui s'éclairent. Elle s'emballe pour ce village devenu son village depuis qu'elle a décidé d'étudier la littérature et les langues étrangères à l'université de Pescara. Par amour pour l'Italie, bien sûr, mais aussi parce que son cœur bat la chamade pour Claudio d'Amone, un membre de l'orchestre Armando Manzi.
Ce que j'aime dans ce village, c'est que tout le monde connaît tout le monde, lance Eléonore-Rose. Le style de vie est complètement différent. C'est beaucoup plus relax. On vit entre amis. Dans le calme et la sérénité des nuits étoilées italiennes. Le jumelage? Elle trouve ça intéressant: C'est le moyen de retrouver ses origines, ses racines.
Rosario Sambuco, intervient dans la conversation. Lui, il a fait le chemin inverse. Par amour aussi. Flûtiste, il a débarqué à Liège pour année de spécialisation au conservatoire. A Sambreville, on découvre chaque fois une autre culture. Ce qui permet d'apprécier un peu plus la nôtre. Le jumelage n'est donc pas qu'un symbole suranné, un folkore un peu désuet dans le siècle de l'hypercommunication. Non, c'est aussi l'occasion de toucher à l'essentiel: l'émotion partagée. En toute simplicité.
Au niveau musical, c'est également passionnant, ajoute Eléonore-Rose. Il y a dans les deux orchestres une multitude d'instruments. Ce qui est important dans la rencontre, ce ne sont pas les partitions mais le plaisir de jouer ensemble. Un plaisir fugace en attendant d'autres retrouvailles. Un plaisir ancré dans un ici et maintenant que ne renieraient pas les hédonistes.
Le directeur Mario Tiberini garde ses sens en éveil
Il était écrit que Gessopalena allait vivre au rythme de la musique. C'est là qu'est née la plus ancienne fanfare des Abruzzes, en 1750. C'est là aussi qu'a vécu Armando Manzi, un tromboniste célèbre en Italie pour avoir joué avec les plus grands orchestres du pays. Alors, quand il y a une dizaine d'années, Mario Tiberini a eu l'idée de créer une école de musique en annexe de l'école primaire, le nom s'est imposé de lui-même.
L'homme est passionnant. Dans son petit village, il se bat en compagnie de son président pour faire vivre un enfant - il y a une cinquantaine de musiciens de 8 à 60 ans - financé entièrement par les parents des élèves. Sans subsides de l'Etat, ni de la Province et avec une petite aide de la commune administrée par un jeune maire de 31 ans qui fait déjà figure d'ancien dans un collège où il est le plus âgé. Etonnant.
A 36 ans, Mario cumule les fonctions de professeur de musique, de directeur et de chef d'orchestre. Le jumelage avec Sambreville, c'est, selon lui, du pain bénit. L'intérêt, c'est de voir et d'écouter des musiciens qui jouent un autre répertoire. Nous sommes plutôt tournés vers les classiques italiens alors que l'Ensemble Votano touche à tout. Il s'arrête, devient pensif et ajoute: Pour Gessopalena, ce jumelage est une occasion unique de permettre aux jeunes de jouer loin de chez eux. C'est autre chose que des vacances.
L'apprentissage n'est pas toujours facile. Là-bas, l'orchestre Armando Manzi joue essentiellement en extérieur alors qu'en Belgique, les concerts se donnent en salle. Un détail qui a son importance. Quand on joue en marchant, le public n'est jamais le même. A l'intérieur, au contraire, on sent toute l'attention des spectateurs. On sait que les notes vont être captées par ceux qui sont en face de nous. Stressant mais enthousiasmant. Parce qu'il faut dominer ses propres peurs. Grandir, à un millier de kilomètres de chez soi.
La main à la pâte
Saucissons, vin, fromage. Une sainte trinité montagnarde. A Gessopalena, on sait recevoir. Divinement. La table est un plaisir gourmand. Sanctifié. Pas étonnant que l'on trouve dans cette région des Abruzzes, une usine qui produit, dit-on, les meilleures pâtes d'Italie. Le secret de leur fabrication: L'eau des montagnes. Douce, pure, limpide. Trois vertus cardinales teintées d'un soupçon de chauvinisme de bon aloi.
Sur le bout de la langue
Entre Belges et Italiens, on communique. Beaucoup. On échange, on se livre, on se dévoile pour mieux se connaître. Petites et grandes histoires se confondent dans un même élan humaniste. Les différences se gomment. Malgré la barrière de la langue. Loin d'être infranchissable. Les mains remplacent alors les mots dans une gestuelle gracieuse, harmonieuse. Comme une partition sans fausses notes suivie à la mesure près par des musiciens en quête de sens. De bonheur simple. Un vrai régal pour les yeux.
Des mots et des notes
Un tel jumelage ne pouvait se concevoir sans un final entièrement consacré à la musique. Ce vendredi à 20 h au centre culturel (place de l'Hôtel de Ville à Auvelais), l'Ensemble instrumental Votano et l'orchestre Armando Manzi scelleront leur union lors d'un concert qui jouera le rôle de catalyseur des émotions, d'une amitié que tous veulent indéfectible. Le samedi, une conférence débat sur le thème «La place de la musique dans la société et la valorisation du patrimoine européen» (à 17 h à l'Académie de Tamines) donnera le ton et de la hauteur à un jumelage qui n'en manque pas.